Le dirigeable a-t-il encore de l’avenir ?

15 avril 2024 par
Jean-François A.


Gonflés à l'hélium et équipés de moteurs électriques, les ballons dirigeables pourraient se poser en alternative à l'avion, jugé par certains trop polluant. Plusieurs entreprises françaises et européennes travaillent actuellement sur des prototypes. Effet d’annonce ou réel tournant pour le secteur aérien ? Ces géants du ciel pourraient bien redéfinir l'avenir du transport, conjuguant innovation et écologie.


Une histoire contrariée

Inventés à la fin du 18ème, les ballons dirigeables ont longtemps préfiguré l’essor de l’aviation moderne. Le premier vol en dirigeable est l’œuvre des Français Charles Renard et Arthur Krebs qui font voler l’aérostat « La France » au-dessus de la forêt de Meudon en 1884. En 1910, c’est aussi une entreprise française, Clément-Bayard, qui réalise la première traversée de la Manche (Paris-Londres) avec sept personnes à bord. 

Les dirigeables sont utilisés à des fins militaires pendant la première guerre mondiale. Le Graf Zeppelin effectue ensuite le premier tour du monde en 1929 ouvrant la voie à une exploitation commerciale à succès. Au total, il parcourra plus d'un million et demi de kilomètres au cours de 590 vols, dont 143 traversées de l'Atlantique. 13 110 passagers emprunteront ce mode de transport entre 1928 et 1937. 

L’accident de l’Hindenburg lors de son atterrissage aux Etats-Unis en 1937 portera un coup fatal à ce mode de transport, challengé aussi par l’arrivée d’une génération d’avions plus rapides, moins dangereux et plus intéressants commercialement. Des dirigeables seront encore utilisés durant la seconde guerre mondiale, notamment par la marine américaine et jusqu'aux années soixante. Malgré de nombreux projets, lancés durant les dernières décennies, seuls quelques prototypes et Zeppelin volent, pour des opérations commerciales ou des vols touristiques. Pourtant, à l'aube de la transition écologique, une floraison de projets innovants de dirigeables est sur le point de redéfinir le paysage du transport aérien.

Hedinburg
Crédit : Accident du Hindenburg - Nationaal Archief

Les différents types de dirigeables

Il existe globalement trois types de dirigeables à ce jour.  En premier lieu, les souples, « blimps » comme on les surnomme, qui maintiennent leur forme par une surpression. Il s’agit d’un dirigeable sans cadre structurel interne ni quille. En principe, les seules parties non gonflées sont le compartiment passager et les ailerons. Ils sont connus pour leur utilisation dans la publicité, la surveillance et comme plates-formes d'observation. 

Les dirigeables semi-rigides ont une structure interne partielle qui soutient la quille (partie inférieure du ballon), contrairement aux dirigeables souples. La partie supérieure du dirigeable est constituée de toile recouverte de plastique ou de caoutchouc qui ne peut être maintenue que par la pression du gaz. 

Pour les dirigeables rigides, le cadre intérieur est constitué d'un matériau léger et recouvert d'une peau extérieure.  À l'intérieur de l'habitacle, il y a un ou plusieurs compartiments à gaz qui génèrent de la portance. Si l'hydrogène a été utilisé jusque dans les années 1960, l'hélium fut ensuite préférée comme gaz porteur. Dans le cadre des projets futurs, l’hélium pourrait être à nouveau remplacé par de l’hydrogène comme gaz de sustentation et gaz de propulsion.

Pour tous les dirigeables, la maîtrise du poids représente l'un des premiers défis à surmonter.

Les usages actuels et futurs

En 2024, les dirigeables sont peu nombreux à voler et se cantonnent à des marchés de niche comme la publicité, les excursions pour les touristes ou des activités scientifiques. Plusieurs entreprises sont néanmoins engagées dans la construction de nouveaux aérostats pour accompagner la transition énergétique. Baptisés LTA par les anglo-saxons pour Lighter Than Air (plus légers que l’air), ces énormes aéronefs de plusieurs centaines de milliers de m³ promettent d’offrir des capacités de fret allant de 10 à 600 tonnes.

Le dirigeable permet de réduire l'empreinte écologique du transport de fret aérien. Le créneau du dirigeable pourrait donc être le transport de charges très lourdes sur de très longues distances (e.g. turbines, pièces d'usine). Ce marché serait évalué à 30 millions de tonnes par an. 

Il a également un rôle à jouer dans l'appréhension des conséquences du dérèglement climatique. Lors de tremblements de terre de raz de marée, le dirigeable pourrait concurrencer l'hélicoptère pour accéder aux zones isolées. Dans les pays sujets aux incendies de forêt, il pourrait remplacer plusieurs dizaines d’avions bombardiers d’eau en une seule passe.

Flying Wales
Crédit : Transport de fret par dirigeable - Flying Whales

Les dirigeables présentent de nombreux avantages comme celui de nécessiter finalement une infrastructure plus limitée que l’avion. La société AirLander a mené une étude de cas pour l'Écosse. Leur aérostat permettrait d'emporter 10 tonnes ou 100 passagers depuis de petits aérodromes actuellement adaptés aux avions légers. Le coût total de la modification des six aérodromes étudiés serait inférieur à 2 millions de livres sterling. Les ingénieurs britanniques ont optimisé le train d'atterrissage d'AirLander pour lui permettre d'opérer aussi depuis des zones aquatiques

Les dirigeables peuvent aussi opérer à très haute altitude. Les High Altitude LTA Platforms (HAPs) sont des outils de communication et de surveillance efficaces en raison de leur capacité à rester en station, très longtemps à des altitudes très élevées, au plus près des satellites. Les HAP mettent en oeuvre des technologies similaires à celles des véhicules spatiaux, comme l'exploitation de l'énergie solaire et des matériaux de pointe capables de résister aux défis de l'espace proche. Ils peuvent servir de relais de transmission. Les dirigeables sont ainsi les seuls appareils pouvant être équipés de panneaux solaires, ce qui leur permet de voler grâce à une énergie non polluante et entièrement renouvelable. 

Au moment où les tensions mondiales s’exacerbent, le département de la défense américaine envisage de remettre en service des dirigeables, en les dotant de nouvelles capacités plus modernes et sophistiquées. Ils pourraient rentrer en service à l’horizon 2030.

Les constructeurs français en pointe

HyLight

Dans le segment des dirigeables de taille modeste, on peut évoquer en premier lieu HyLight qui exploite des ballons à hydrogène pour collecter des données depuis le ciel sans intervention humaine. Équipés de moteurs à hydrogène, ces dirigeables peuvent voler pendant 20 heures et parcourir 600 km. Ils opèrent jusqu’à 120 mètres d'altitude mais la plupart des opérations se font à une trentaine de mètres. La capacité d'emport de 10 kg permet d'opérer depuis le sol des caméras haute définition et autres appareils de mesure. La société, soutenue par la BPI, vient de clore une levée de fond de 3,7 millions d'euros.

HyLight
Crédit : Drone d'observation dirigeable - HyLight

Flying Whales

Flying Whales est une start-up aéronautique française qui malgré ce nom anglo-saxon est installée près de Bordeaux. Si tout va bien, la construction de l’usine de Laruscade pourrait démarrer en 2024, se poursuivre par la certification du premier appareil en 2026, et un démarrage de l’activité d'exploitation en 2027. La société développe un dirigeable respectueux de l'environnement conçu pour transporter des charges lourdes comme des pales d'éoliennes ou des chargements de bois.  Ce dirigeable de 200 mètres de long, disposant de 14 cellules gonflées à l’hélium, pourrait transporter la moitié de la charge d’un A350 F avec une vitesse de pointe de 100 km/h. Ce projet à 470M€ est financé par la France, le Québec, l’Australie, Bouygues, Aéroports de Paris, Air Liquide et la Société Générale.

Euro Airship

En nouvelle Aquitaine, la société paloise Euro Airship développe depuis plus de 10 ans un dirigeable rigide. La phase de R&D a été suivi par 3 années de conception industrielle en partenariat avec Capgemini Engineering. Long de 151 mètres, le dirigeable est de type rigide et dispose d’un volume d’expansion de l’hélium de 53 000 m³. Son enveloppe est recouverte de 4800 m² de films solaires. L’appareil dispose d’une double enveloppe permettant la stabilisation des pressions externes exercées et la régulation des températures internes. L’entreprise française prévoit de transporter ses premiers voyageurs en 2026 à une altitude moyenne de 6 000 mètres et à environ 130 km/h. 

Le cas spécifique des ballons captifs

Fondée en 2010, la société française A-NSE est spécialisée dans la conception, la fabrication et l'exploitation de ballons dirigeables et de ballons captifs pour des missions civiles et militaires nécessitant une permanence en altitude. La société a remporté plusieurs contrats dans le domaine de la sécurité. On peut citer en 2022 la fourniture, au bataillon de marins-pompiers de Marseille, d’un système de détection des départs de feux dans le parc national des Calanques. Elle a aussi fourni à l'armée allemande un aérostat captif pour sécuriser une base d'opérations avancée de la Bundeswehr au Sahel. La société développe aussi un dirigeable à vocation urbaine.


Crédit : Ballon captif de surveillance - A-NSE

Les autres projets à l'étranger

Les constructeurs américains Lockheed et Northrop Grumman ont longtemps travaillé sur les dirigeables, principalement à des fins de surveillance militaires. Le P-791 de 2006 a été conçu dans le cadre du programme Long Endurance Multi-intelligence Vehicle de l'armée américaine. Il a été modifié pour devenir un porteur civil sous le nom de SkyTug, avec une capacité de levage de 20 tonnes. AT2 Aerospace, spin-off de Lockheed Martin, poursuit le développement du programme de dirigeable hybride Z1 dérivé du P-791. 

En Israël, l’entreprise Atlas LTA prépare Atlant, un aéronef qui pourra porter jusqu’à 165 tonnes de charges sur 2 000 km à 120 km/h. 


Les Russes ont aussi des idées. Le constructeur Airship Initiative Design Bureau Aerosmena (AIDBA) travaille sur un dirigeable de forme lenticulaire d'une charge utile de 600 tonnes pour 5 000 km d'autonomie.



Crédit : Dirigeable bombardier d'eau - Atlas LTA

Conclusion

Techniquement, la faisabilité de ces nouveaux dirigeables reste encore a confirmer et le flou règne sur la question des certifications de sûreté. Malgré toutes ces incertitudes, le renouveau du dirigeable est devenu pour beaucoup une question de souveraineté industrielle. Généraliser leur emploi à l’ensemble du secteur aérien semble néanmoins poser des problèmes insolubles. Rappelons notamment que les dirigeables sont  plus difficiles à piloter par mauvais temps.  Cet engouement soudain est peut-être la première page d'un nouveau chapitre dans l'histoire du transport aérien, où technologie et durabilité se rencontrent.

Références

[1] Office of the Assistant Secretary of Defense for Research and Engineering. (2012). Hybrid Airships Operational Concepts.

[2] Jiron, Z. B., Major. (2012, novembre). Hybrid Airships for Lift: A New Paradigm. Army Sustainment University.

[3] Lobner, P. et al. (2019, août). Dossier "Modern Airships". The Lycean Group. 

[4] INSA. (2023, janvier 31). Le ballon dirigeable n’a pas encore dit son dernier mot

[5] Taithe, A. (2018, juin). Regain d’intérêt pour les aérostats : les dirigeables transporteurs de charges lourdes. Défense & Industrie.