Armes Hypersoniques : vers un Nouvel Age des Conflits ?

24 juillet 2023 par
Jean-François A.


Dans le tourbillon des annonces récentes, il est devenu clair que plusieurs nations se lancent dans une course technologique sans précédent, visant à déjouer les défenses traditionnelles de leurs adversaires. L'objet de cette course ? Les armes hypersoniques. Ces véhicules de destruction semblent tout droit sortis d'un film de science-fiction, capables de se déplacer entre 5 et 25 fois la vitesse du son. Elles représentent une évolution monumentale de la stratégie militaire et pourraient redéfinir les règles du jeu en matière de guerre moderne

Nous pouvons classer ces prouesses technologiques en cinq catégories :

  • Les missiles de croisière hypersoniques, qui emploient la technologie avancée des super-statoréacteurs, communément appelés "scramjets", pour atteindre des vitesses vertigineuses.
  • Les planeurs hypersoniques, ou "hypersonic glide vehicles" en anglais.
  • Les avions hypersoniques, qui utilisent une motorisation similaire à celle des missiles de croisière hypersoniques.
  • Les canons, qui tirent des projectiles guidés à très haute vitesse, en s'appuyant sur les techniques traditionnelles de l'artillerie ou des "railguns".
  • Les missiles balistiques, ces armes de destruction massives qui atteignent des vitesses hypersoniques lors de leur rentrée dans l'atmosphère.

Prenons un moment pour comprendre l'ampleur de cette réalité. L'Iran, par exemple, a récemment révélé que son missile Kheibar peut atteindre Mach 16. Dans le même temps, le missile américain Minuteman III a une vitesse moyenne de Mach 13.8, soit 4,7 kilomètres par seconde. Pourtant, la majorité des discussions actuelles sur l'hypersonique se concentre sur les missiles de croisière et les planeurs¹.

Voyage à travers le siècle : L'évolution fulgurante de la propulsion aérospatiale

Si on regarde en arrière, les idées de propulsion à très grande vitesse ont commencé à émerger dès les années 1930. Après le développement du moteur à piston, les ingénieurs ont conçu le turboréacteur, qui a équipé les avions militaires peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce moteur a continué à évoluer, en particulier pour améliorer les performances de l'aviation commerciale.

Les innovations ne se sont pas arrêtées là. Des projets de recherche et développement ont vu le jour autour du statoréacteur (ramjet), un moteur qui ne possède pas de compresseur et utilise un étranglement dans sa tuyère principale pour créer de la pression. Cependant, ce propulseur n'a pas trouvé sa place dans le monde de l'aéronautique.

Dans les années 1960, les chercheurs ont commencé à travailler sur le super-statoréacteur (scramjet). Il a fallu attendre novembre 1991 pour que l'URSS réalise le premier vol, atteignant une vitesse de Mach 5,7. Dans les années 2000, le rythme des avancées a pris de l'ampleur. En mars 2010, une collaboration entre les scientifiques de la défense australiens et américains a réussi à tester avec succès une fusée hypersonique, la HIFiRE, qui a atteint Mach 4. Cette course effrénée ne fait que commencer, et elle promet de redéfinir notre compréhension de la guerre et de la défense.

 

Crédit : Dassault Aviation - Iconographie explicative des différents types de trajectoires

Scramjets vs Ramjets : Une danse à la frontière de la vitesse du son

Au coeur de la technologie hypersonique, deux technologies se distinguent : le statoréacteur, ou "ramjet", et son cousin plus avancé, le super-statoréacteur, ou "scramjet". La principale différence entre ces deux systèmes réside dans le processus de combustion. Dans un scramjet, la combustion a lieu à une vitesse d'air supersonique à l'intérieur du moteur. Cela permet d'atteindre des vitesses plus élevées qu'un ramjet traditionnel, qui doit ralentir l'air entrant à des vitesses subsoniques avant de le diriger vers la chambre de combustion. Grâce à cette particularité, le scramjet permet de tolérer des températures plus élevées pour les pièces et les matériaux du moteur. Cependant, le défi de maîtriser la combustion à de telles vitesses rend sa mise en oeuvre complexe. Ce sont ces moteurs qui sont employés pour les missiles de croisière hypersoniques.

De plus, ces missiles hypersoniques intègrent également le concept de "waverider", un design aérodynamique qui optimise son rapport portance/traînée supersonique en utilisant les ondes de choc générées par son propre vol comme surface de portance. Ce phénomène, connu sous le nom de portance par compression, est un autre élément-clé de cette technologie.

Planeurs hypersoniques : La nouvelle épine dans le pied des systèmes de défense

Le planeur hypersonique, également appelé "Hypersonic Glide Vehicle" (HGV), est un nouveau type de projectile pour missiles balistiques. Il est capable de manœuvrer et de glisser à une vitesse hypersonique sans système de propulsion indépendant, souvent sans charge militaire. L'objectif de ces projectiles est de détruire la cible simplement par l'énergie cinétique produite par l'impact. Ces planeurs sont lancés en conjonction avec des missiles balistiques qui les placent sur une trajectoire utilisable après le lancement. Ils sont capables de manœuvrer à grande vitesse après la phase initiale de lancement balistique, avec la capacité de changer de trajectoire en plein vol. Ce qui leur confère une supériorité véritable, c'est leur manœuvrabilité : ils sont équipés de volets et d'ailerons qui leur permettent de rebondir sur les différentes couches de l'atmosphère pour changer de direction, rendant leur trajectoire imprévisible pour les systèmes de défense adverses.

Au-delà de leur manœuvrabilité, ces planeurs pourraient être utilisés dans le cadre du système de bombardement orbital fractionné (FOBS). Développé à la fin des années 1960 par l'Union Soviétique et les États-Unis, ce système consiste à placer une ogive nucléaire en orbite sur une trajectoire inférieure à celle des missiles balistiques traditionnels pour faciliter la pénétration des ogives et tromper les défenses ennemies. Lorsqu'ils sont combinés avec le FOBS, les planeurs hypersoniques peuvent surmonter les faiblesses individuelles qui rendraient ces systèmes plus faciles à contrôler. En 2021, la Chine a effectué un essai de FOB avec une fusée Long March.

La Chine et la Russie, pionniers de l'armement hypersonique

Parmi les nations militarisées, deux pays se distinguent particulièrement dans le domaine des armes hypersoniques opérationnelles : la Chine et la Russie.

La Chine a développé plusieurs armes hypersoniques, notamment le Dongfeng-17, un missile balistique équipé du planeur hypersonique DF-ZF capable d'atteindre une vitesse de Mach 5 sur une distance de 1250 à 1800 kilomètres2. En outre, la marine chinoise a mis en service en 2022 le missile anti-navire balistique YJ-21, capable d'atteindre une vitesse de Mach 10 sur une distance de 1500 km.

De son côté, la Russie dispose de trois types d'armes hypersoniques. Le Kh-47M2 Kinzhal, qui est lancé par l'avion de combat MiG-31K, a été utilisé contre un entrepôt de munitions ukrainien en mars 2022. Cependant, le planeur hypersonique Avanguard, lancé par un missile balistique intercontinental R-36M ou RS-28 Sarmat, est probablement l'arme la plus redoutable de l'arsenal russe. Il peut transporter une charge nucléaire de 2 mégatonnes à une vitesse de Mach 27. De plus, la Russie a récemment déclaré opérationnel le missile antinavire hypersonique Zirkon³, capable de cibler à une distance de 1000 km à une vitesse de Mach 9.

Véhicules hypersoniques : Avancées et conséquences stratégiques

Alors que la technologie hypersonique se répand et que plus de pays commencent à développer leurs propres systèmes, les implications stratégiques deviennent de plus en plus importantes. Leur capacité à changer de direction en vol et leur rapidité rendent ces armes extrêmement difficiles à détecter et à contrer par les systèmes de défense existants, offrant un potentiel avantage significatif sur le champ de bataille.

Cependant, la maîtrise de cette technologie présente également des défis techniques. La vitesse de ces armes peut générer des problèmes de précision au but, comme le démontre l'exemple du missile russe Kinzhal qui, lors de son approche, doit réduire sa vitesse pour améliorer sa précision, rendant ainsi sa détection plus facile. En mai 2023, un de ces missiles a été abattu par un missile Patriot de la défense anti-aérienne ukrainienne⁴, soulignant cette faiblesse potentielle.

Enfin, le développement de ces armes soulève également des questions importantes en matière de contrôle des armements et de sécurité internationale. Les accords existants, comme le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, n'ont pas prévu l'émergence de telles technologies. Ainsi, le défi de l'heure pour la communauté internationale sera de négocier de nouveaux accords pour réguler l'utilisation de ces armes potentiellement destructrices, tout en essayant de comprendre leur impact sur la dynamique stratégique globale. Le défi est immense, mais l'enjeu est de taille : préserver la paix et la stabilité dans un monde de plus en plus rapide.

 

Crédit : DARPA - Vue d’artiste du Falcon HTV-2 américain 

Programmes gouvernementaux : Une course à l'innovation

Face à l'expansion rapide des armements hypersoniques, plusieurs pays à travers le monde ont choisi de réagir en développant des armes similaires ou en créant des systèmes capables d'intercepter et de détruire ces armes avant qu'elles ne puissent atteindre leur cible.

Aux États-Unis, divers projets sont en cours, dont le Long-Range Hypersonic Weapon (LRHW) de Lockheed Martin et Northrop Grumman, qui peut atteindre Mach 17, et le missile hypersonique Hypersonic Air-breathing Weapon Concept (HAWC) de Lockheed Martin et Aerojet Rocketdyne. Par ailleurs, plusieurs universités américaines sont financées par le DoD pour résoudre des défis techniques spécifiques liés à l'hypersonique.

D'autres pays se sont également lancés dans la course aux armes hypersoniques. La Corée du Nord développe un missile capable d'atteindre Séoul en seulement deux minutes. La Corée du Sud a réagi en se donnant deux ans pour développer son propre missile hypersonique. Le Japon, se sentant menacé par la Chine et la Corée du Nord, développe également deux types de missiles hypersoniques et prévoit de déployer un planeur hypersonique à partir de 2026.

L'Inde, le Brésil et la France ont également des projets en cours. En Inde, le démonstrateur Hypersonic Technology Demonstrator Vehicle (HSTDV) a effectué un vol d'essai en janvier 2023. Le Brésil développe un scramjet nommé 14-X. Et en France, des projets comme le missile ASN4Gi et le planeur hypersonique V-MAX sont en développement, ce dernier ayant effectué un essai en vol en juin 2023.

Cette nouvelle course à l'armement hypersonique illustre la façon dont les pays répondent à la menace posée par ces armes. Cependant, alors que de plus en plus de pays se lancent dans la course à l'armement hypersonique, les implications en termes de sécurité mondiale et de contrôle des armements deviennent de plus en plus complexes et urgentes⁵. Il est clair que la maîtrise de la technologie hypersonique sera un enjeu stratégique majeur⁶ pour les décennies à venir.

Contre-mesures hypersoniques : Vers une nouvelle défense

Face à l'émergence des armes hypersoniques, de nombreux pays développent des contre-mesures pour protéger leurs territoires. L'une des solutions consiste à utiliser des satellites d'alerte précoce équipés de capteurs infrarouges pour détecter la lumière intense émise par les planeurs hypersoniques voyageant à des vitesses extrêmes. Ces informations, en cas de crise, pourraient être partagées au sein de l'OTAN⁷.

En parallèle, des entreprises développent activement des systèmes d'interception. Par exemple, en Israël, le Sky Sonic de Rafael Advanced Defense Systems est capable de prédire et d'intercepter des missiles atteignant Mach 10. Ce système sera intégré à Iron Dome, l'un des systèmes de défense aérienne les plus efficaces au monde.

L'Union européenne, quant à elle, a lancé le projet EU HYDEF (European Hypersonic Defense Interceptor) pour développer un intercepteur endoatmosphérique. Ce programme, coûtant environ 110 millions d'euros et prévu pour une durée de 36 mois, est dirigé par l'entreprise espagnole Sener. En parallèle, MBDA, une entreprise européenne de fabrication de missiles, dirige un consortium qui a pour objectif de concevoir un prototype d'intercepteur hypersonique au cours des trois prochaines années, connu sous le nom d'Aquila.

Conclusion

Malgré l’engouement autour des armes hypersoniques, certains scientifiques américains sont d'avis que leur impact est souvent exagéré et ne représente pas une révolution en soi. Néanmoins, la course pour développer des systèmes de détection avancée et des intercepteurs efficaces est bel et bien enclenchée à l'échelle mondiale, illustrant l'importance stratégique de ces technologies dans le paysage de défense actuel.

Références

[1] Congressional Research Service. (2023). Hypersonic Weapons: Background and Issues for Congress (R45811). https://sgp.fas.org/crs/weapons/R45811.pdf

[2] Lemaître, F. (2018, Août 11). La Chine teste avec succès un missile hypersonique. Le Monde.

[3] Lagneau, L. (2023, Février 19). Pour le général Burkhard, l’efficacité opérationnelle des armes hypersoniques russes « n’est pas encore à maturité ». Zone militaire-Opex360. https://www.opex360.com/2023/02/19/pour-le-general-burkhard-lefficacite-operationnelle-des-armes-hypersoniques-russes-nest-pas-encore-a-maturite/

[4] Cazalet, M. (2023, Juin). Dagger Fallen – Assessing Ukraine downing of the Kinzhal missile. European Security and Defence.

[5] Henrotin, J. (2021, Juin 18). Armes hypersoniques : Quels enjeux pour les armées? Institut français des relations internationales. https://www.ifri.org/fr/publications/briefings-de-lifri/armes-hypersoniques-enjeux-armees

[6] Vieu, J. (2022). Les armes hypersoniques, porteuses de nouveaux paradigmes stratégiques. Défense Nationale, 2022(7), 78-83. https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2022-7-page-78.htm

[7] Davis, S. (2020). Les armes hypersoniques : Un défi technologique pour l’OTAN et ses pays membres. Assemblée parlementaire de l’OTAN. https://www.nato-pa.int/fr/document/les-armes-hypersoniques-projet-revise-davis-039-stc-20-f