Moteur de fusée hybride :  La course est lancée

3 octobre 2023 par
Jean-François A.


Ces dernières années, les moteurs de fusée hybrides ont suscité un intérêt grandissant dans le monde entier. Le champ d'application est large : tourisme spatial, mise en orbite, fusées-sondes et armement. En raison de leur faible coût, de leur sécurité accrues, de leur impact environnemental moindre et de leurs performances élevées, les moteurs hybrides ont un fort potentiel de développement à moyen terme.

Un propulseur hybride est un moteur-fusée qui utilise un mélange d'ergols fluides et solides. Ce type de moteur fonctionne en l'absence d'atmosphère puisque le carburant et le comburant sont embarqués dans le réservoir et la chambre de combustion du lanceur. Les premiers travaux sur les moteurs fusées hybrides ont été réalisés au début des années 1930 en Union soviétique. Dans les années 1960, des organisations européennes ont également commencé à travailler sur des fusées hybrides. On peut citer L'ONERA en France et Volvo Flygmotor en Suède qui ont utilisé des moteurs-fusées hybrides pour des fusées-sondes. C’est American Rocket Company (AMROC) qui a développé les plus grandes fusées hybrides jamais créées à la fin des années 1980 et au début des années 1990. L'exemple de mise en œuvre le plus connu est celui des avions spatiaux SpaceShipOne et SpaceShipTwo qui les utilisent pour effectuer des vols suborbitaux.

Actuellement, de nombreux projets ont été lancés dans le monde pour développer ce nouveau mode de propulsion qui peut s’avérer plus accessible et prometteur au regard de l’augmentation prévisible des lancements. Le marché de la mise en orbite devrait connaître une croissance de 345% entre 2021 et 2031, à raison de 1700 lancements de satellites par an en moyenne à travers le monde sur cette période¹.

Crédit : Avion spatial SpaceShipTwo équipé d'un moteur fusée hybride - Virgin Galactic 

Beaucoup d’avantages et quelques inconvénients

Traditionnellement, deux technologies sont utilisées pour les lancements spatiaux. Il s’agit de la propulsion liquide et la propulsion solide. Chacune a des avantages et des inconvénients.

  • La propulsion liquide utilise deux réactifs liquides (comburants et carburant) qui sont stockés dans des réservoirs. Ils sont pompés dans une chambre de combustion où ils réagissent entre eux. La poussée peut être modulée en jouant sur l'injection. En revanche, ce moteur est très complexe et très coûteux car il faut deux turbopompes.
  • Dans le cas de la propulsion solide, les deux réactifs chimiques sont mélangés dans une pâte. Il suffit d’une étincelle et le moteur démarre. C’est une réaction pyrotechnique extrêmement réactive. Ce mode de propulsion est moins cher à concevoir mais la poussée n’est pas modulable.

Les systèmes hybrides sont plus complexes que les systèmes solides, mais ils évitent les risques importants liés à la fabrication, au transport et à la manipulation des moteurs-fusées à propulsion solide en stockant le comburant et le carburant séparément.

Les performances théoriques en impulsion spécifique des moteurs hybrides sont généralement supérieures à celles des moteurs solides et inférieures à celles des moteurs liquides. Un moteur de fusée hybride peut utiliser une gamme de combustibles solides très variés, des déchets plastiques recyclés au caoutchouc synthétique en passant par la cire de paraffine. Le carburant pourrait être dopés à l’aluminium, au lithium ou au béryllium pour augmenter la densité et donc la performance de la fusée². Certains oxydants, comme l'oxyde nitreux – un gaz anesthésique couramment utilisé dans l'industrie médicale – offre une toxicité moindre et une sécurité de manipulation améliorée par rapport à de nombreux oxydants de fusée courants.

Les moteurs hybrides présentent néanmoins certains inconvénients. Un des problèmes liés à la conception de grandes fusées orbitales hybrides est que les turbopompes deviennent nécessaires pour atteindre des débits et une pressurisation élevés du comburant

Un principe simple de mise en œuvre complexe

« Plus le propulseur hybride est de grande taille et moins la poussée est efficace. »

Jusqu’à présent, les propulseurs hybrides se heurtaient à un problème de rendement, notamment à cause de la chambre de combustion. Les équipes de recherche essaient de développer une nouvelle architecture avec un volume interne nettement diminué et une forme complètement retravaillée. L’objectif est que les réactifs chimiques s’y mélangent mieux. L’injection de l'oxydant liquide ou gazeux, qui se fait à plusieurs endroits dans la chambre, permet de mieux maîtriser la combustion interne et d’éviter les imbrûlés. Les méthodes de fabrication additive sont largement utilisées dans ce domaine.


Crédit : Pain de carburant solide multiport d'un moteur hybride -  Lookheed Martin & DARPA

La propulsion hybride, un sujet de recherche mondial

Des dizaines d’universités se sont lancés dans le développement de moteurs hybrides.

  • L'équipe d'étudiants Delft Aerospace Rocket Engineering (DARE) l’Université de Technologie de Delft est très active dans la conception et la construction de fusées hybrides depuis 2001. L'équiper travaille sur le moteur de 10 kN qui devrait amenée la fusée Stratos V à Mach 3.4.
  • L'Université de Stuttgart en Allemagne est aussi très engagée dans cette voie. En novembre 2016, sa fusée Heros 3 avait atteint une altitude de 32,3 km. L'Université développe la fusée N2ORTH en matériau composite qui sera lancée du site d’Esrange en Suède.
  • L’Université de Californie du Sud a réussi à envoyer sa fusée à plus de 100 km d’altitude, en 2019.
  • Au Bangladesh, le centre de recherche de l'American International University a testé avec succès son premier moteur de fusée hybride le 1er septembre 2023.

Le sujet intéresse donc un panorama diverse d'acteurs académiques répartis sur tous les continents du globe.

Les initiatives privées en Europe et dans le monde

En Allemagne, la jeune pousse HyImpulse, installée dans le Bade-Wurtemberg, développe un lanceur à trois étages dotés de moteurs hybrides pour lancer une charge utile allant jusqu'à 500 kg. Son moteur hybride HyPLOX75 fonctionne avec de la paraffine, un carburant à base de cire de bougie et de l’oxygène liquide³. Les performances ont été démontrées avec succès lors d’essais de tir statique au niveau de la mer au sein des installations de l’Agence spatiale allemande (DLR) de Lampoldshausen septembre 2020. Sa fusée prototype a fonctionné durant plus de 20 secondes, en mai sur les îles Shetland avec un très bon rendement pour le moteur hybride qui serait capable d'incorporer une buse de contrôle vectoriel de poussée.


Crédit : Tir expérimental d'un micro-lanceur à moteur hybride - Innospace

Innospace, une start-up sud-coréenne spécialisée dans le développement de lanceurs à propulsion hybride, tirait le démonstrateur Hanbit-TLV depuis le centre spatial d'Alcantara au Brésil le 22 mars 2023. Le lancement visait à évaluer les performances du moteur-fusée hybride, qui devrait être utilisé ultérieurement comme moteur du premier étage de la fusée Hanbit-Nano.

Hanbit-Nano pourra emporté une charge utile de 50 kg et entrer sur le marché du lancement de petits satellites commerciaux en 2024. Il s’agit d’une fusée hybride à poussée unique de 8,4 tonnes et mesurant 16,3 mètres de haut, La société prévoit de développer deux autres lanceurs capables d'avoir une charge utile de 150 kg et 500 kg de charge utile respectivement. Innospace développe le premier moteur hybride à pompe électrique au monde.

Le champion français HyPrSpace

La France compte aussi d’importantes capacités d’innovation dans ce domaine. Il s’agit en premier lieu de la start-up française HyPrSpace qui mise sur la propulsion hybride pour ses micro-lanceurs. L’innovation technologique d’HyPrSpace porte sur les caractéristiques mécaniques des pièces constituant les parties principales du moteur : réservoir, chambre de combustion et tuyère. Leur lanceur OB-1 pourra mettre 250 kg de charge utile en orbite en orbite à partir de 2027. 

Ce projet séduit déjà. HyPrSpace a remporté il y a un an l'appel à projet du programme de micro-lanceur de France 2030 et a levé 2 millions d'euros auprès d’un groupe d’investisseurs mené par Bpifrance. Ce projet intéresse particulièrement l'armée française et la start-up vient de décrocher un contrat d’essai avec la direction générale de l’armement (DGA). Elle pourra ainsi utiliser les infrastructures d’essai de la DGA pour tester un étage de lanceur complet sur le site de Saint-Médard-en-Jalles, près de Bordeaux. La société espère diviser par deux les coûts de lancement par rapport à la concurrence française qui propose majoritairement de la propulsion liquide.

Crédit : Tir au banc du moteur expérimental Joker Mk2 - HyprSpace

Les applications actuelles et futures

En 1998, SpaceDev a acquis toute la propriété intellectuelle, les conceptions et les résultats des tests générés par plus de 200 tirs de moteurs-fusées hybrides par l’American Rocket Company au cours de ses huit années d'existence. SpaceShipOne, le premier avion spatial privé avec équipage, était propulsé par le moteur de fusée hybride de SpaceDev brûlant du HTPB avec du protoxyde d’azote.

Demain, les micro-lanceurs comme la fusée SL1 ou OB-1 constitueront à coup sûr les premiers consommateurs de moteurs hybrides. Small Launcher 1, par exemple, allumera 16 moteurs hybrides de deux types différents pour chaque tir de mise en orbite.

Et les besoins pour le transport de fret low cost ne feront qu’augmenter pour la décennie à venir⁴ : à partir de 2025, HyImpulse compte produire 10 fusées par an, et 30 par an à partir de 2030. Le coût du transport d'un kilogramme de charge utile en orbite terrestre basse devrait initialement être de 16 k€, mais sera réduit à 7 k€/kg d'ici 2030 grâce à la production en série de la fusée.

Aussi, la nature des applications militaires possibles se précisent. L’Iran a notamment dévoilé un intercepteur, Sayad 4B, qui repose sur un moteur-fusée hybride. Adapté au système de défense aérienne de moyenne portée Bwar-373, l'Iran pourrait le déployer en Syrie.

A surveiller : la parution du numéro spécial Hybrid Rocket Engines de la revue Aerospace, fin des soumissions le 15 octobre 2023.


Conclusion

Il est évident que le moteur hybride présente des avantages de sûreté, de sécurité, de respect de l'environnement. Il est aussi synonyme de performance fonctionnelle et permettra de répondre aux besoins du futur en terme de transport spatial de fret et d’équipage à faible coût. Sur le segment des micro-lanceurs européens, il semblerait qu’un match France - Allemagne se profile à nouveau. Qui de HyPrSpace et de HyImpulse sera le premier à opérationnaliser son lanceur ? Il est primordial que la start-up française puisse bénéficier de tout le soutient des instances gouvernementales, à l’instar de ce que les Allemands font pour leur jeune pouce.

Références

[1] Euroconsult. (2023). Satellites to be Built & Launched (26th ed.). Euroconsult.

[2] Zurawski, R. L. (1986). Current evaluation of the tripropellant concept. Joint Propulsion Conference. NASA.

[3Kobald, M. et al. Hybrid Propulsion based Launch Vehicles for Small Satellites, diapositive de présentation. HyImpulse Technologies GmbH, Germany

[4] Cabaré, P., & Lecoq, J.-P. (2022). Conclusion des travaux d’une mission d’information sur l’espace. Commission des Affaires Étrangères, Assemblée Nationale.